29 décembre 2022
dernier article d'une année Horrible.
LE BAL DES SALAUDS
titre de mon prochain roman
Je me contenterai d'une galerie de portraits pour le moment (non exhaustive)
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Avertissement :
Toute représentation ou reproduction même partielle de ces chapitres constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du code de la propriété industrielle.
Evidemment, Les opinions exprimées dans ce livre sont très éloignées de celles de l'auteur, elles reflètent la tendance actuelle, affichées (avec véhémence) par une partie croissante du public, la populace comme l'appelle Zoreck. Public déboussolé, qui ne sait plus à quel politique se vouer. Alors il se tourne vers celui qui braille le plus fort ce qu'il veut entendre.
Des idées toutes faites voient le jour, des solutions simplistes résolvent tous les problèmes de la société. Les sondages d'opinions rythment la vie du pays pour le plus grand plaisir des petits génies de l'informatique dont les algorithmes nous mettent dans de petites cases.
Chapitre 1
1. Éric Zoreck
Accoudé au zinc du café de la mairie du onzième arrondissement de Paris, Éric Zoreck haranguait la dizaine de consommateurs présents, depuis une dizaine de minutes. Son discours était invariablement le même : Quand il sera Président il chassera la racaille du sol français. Les juifs, les musulmans, les tziganes. Il rétablira l’ordre, interdira les prénoms qui ne font pas référence à la religion catholique, fermera les mosquées, les synagogues… Les poivrots l’écoutaient en hochant la tête, l’air convaincu, n’attendant qu’une nouvelle tournée en retour de leur attention, si ce n’était leur approbation. Mais que ne feraient-ils pas pour un ballon de gros rouge.
S’enhardissant, Zoreck prit place au milieu de la salle. Vêtu d’un imperméable couleur mastic qui lui descendait jusqu’aux genoux dont il avait relevé le col. Il avait une tête en lame de couteau, les oreilles légèrement décollées. Des sourcils en broussaille dominaient des petits yeux inquiets d’un homme traqué. Le cheveu rare plaqué par de la gomina, peigné avec une raie sur le côté. Il faisait penser à un gros rat, debout sur ses pattes arrière.
Dans le fond de la salle, deux hommes assis à une table écoutaient son discours xénophobe tout en hochant la tête, comme s’ils approuvaient. Malgré l’abus de boisson Zoreck conservait une élocution claire. Les mains enfoncées dans la ceinture de son imperméable, il martelait les mots, et, de temps à autre ponctuait son discours en frappant du poing le comptoir, ce qui avait pour effet de réveiller un public dont l’attention avait tendance à se relâcher.
Á la fin de la diatribe, Zoreck toisait son auditoire, comme s’il attendait des vivats, qui n’arrivaient pas. Invariablement, les consommateurs déçus que la tournée annoncée n’arrivât pas se détournaient, reprenaient leurs conversations alcoolisées. Zoreck n’en paraissait pas affecté. Soudain, provenant du fond de la salle, des applaudissements retentirent, provocant la stupéfaction de la clientèle et la jubilation de l’orateur, tout de même un rien déconcerté.
Zoreck mit sa main en visière, scruta le fond de la salle, s’approcha de la table des deux individus, avec le sentiment qu’il avait sans doute à faire à des gens qui se payaient sa tête, il en avait l’habitude. Le plus âgé se redressa, lui tendit la main et se présenta « Guillaume de Fressinet ». Il l’invita à s’assoir et présenta son ami, Alain. Celui-ci fit un bref signe de tête.
— Vous voulez prendre un verre ?
— Un blanc sec.
Autant qu’il pouvait en juger, de Fressinet était un homme de grande taille, les cheveux poivre et sel, les yeux bleus gris, un nez aquilin, des lèvres fines qui s’étiraient en un sourire bienveillant que démentait un regard glacial, incisif, qui déstabilisa, un temps, Zoreck. Il portait une veste en tweed havane ornée d’une pochette blanche sur une chemise immaculée barrée d’une cravate bleu marine sur laquelle on distinguait de minuscules fleurs de lys dorées. Le dénommé Alain avait le crâne rasé ainsi que les sourcils, des yeux noirs, une bouche dédaigneuse aux lèvres épaisses. Il portait un blouson usé sur de larges épaules, un jean délavé. Il émanait de sa personne une puissance destructrice. Le contraste avec Guillaume de Fressinet était saisissant.
— Vous perdez votre temps à essayer de convaincre ces pochtrons. Ils n’attendent qu’une chose, que vous leur offriez un verre.
— Je sais, mais pour moi c’est comme une séance d’entraînement, qu’ils écoutent ou non m’importe peu.
— Vous m’intéressez. Ça vous dirait de rencontrer des personnes qui, eux, seront à votre écoute ?
Zoreck lissa ses mains moites sur son pantalon en toile bon marché.
— Pourquoi pas !
Fressinet sorti une carte blanche de son portefeuille qu’il tendit à Zoreck. Elle portait le logo suggestif d’un bar de nuit et une adresse dans le dix-septième arrondissement. Le garçon arriva, posa le verre de blanc devant Zoreck. De Fressinet se leva imité par son compagnon, paya les trois verres.
— Alors, à ce soir vingt-deux heures si vous le voulez bien.
Zoreck regarda les deux hommes sortir du bistro. Il ne savait trop à quoi s’en tenir. Il avala son verre d’un trait, examina la bande de poivrots dont les vociférations concernaient le dernier match de football du PSG. Il se redressa en grimaçant. Il avait pris sa décision. Il irait à ce rendez-vous. Ça ne pouvait pas être pire qu’ici.
Il emprunta la rue Richard Lenoir, non sans avoir jeté auparavant un regard haineux à la plaque de la place de la mairie. Léon Blum. C’était toujours avec la même amertume qu’il retournait à son domicile, une petite chambre mansardée au cinquième étage d’un immeuble situé au onze rue Paul Bert.
Durant le court trajet il s’inquiéta de ce qu’il allait revêtir pour se présenter devant les amis de Monsieur de Fressinet. Le bar était certainement un endroit chic et sa garde-robe se résumait au pantalon qu’il portait actuellement, un pullover, cet imperméable qui lui permettait de cacher sa misère et un costume gris qu’il avait acheté il y a quelques années pour le mariage de sa sœur. Il était pendu dans l’armoire Ikea sous une housse plastique. Il pria pour que les mites l’aient épargné. Il baissa la tête, l’unique paire de chaussures qu’il possédait n’avait pas connu le cirage depuis des mois.
Erick Zoreck vivait du RSA, et avait trois mois de loyer de retard. Sans formation, il prenait, entre deux périodes de chômage, quelques petits boulots, sans conviction, si bien que ses employeurs le remerciaient dès la période d’essai terminée.
Zoreck avait deux atouts, sa grande gueule et une certaine culture qu’il devait à la lecture d’auteurs divers et variés comme Gobineau, Faurisson, Rebatet, Garaudy, Soral…l’académie de la haine.
Il monta les cinq étages en pestant après la concierge antillaise qui enduisait les marches d’une cire qui lui donnait mal à la tête. Dès qu’il pénétra dans la mansarde, il se précipita vers l’armoire, sortit le costume de sa house et l’examina sous toutes les coutures. Il respira, un coup de fer à repasser lui redonnera, le pensait-il, l’aspect du neuf. Côté chemise, il allait devoir dépenser quelques Euros chez Célio.
Restait à préparer son intervention devant les amis de Monsieur de Fressinet. C’était peut-être le moment le plus important de sa vie. Il ne devait pas le rater. Il ne pouvait reprendre les sempiternels boniments dont il abreuvait les pochtrons du café de la Mairie. L’immigration et les quartiers incontrôlés des cités, les trafics, étaient des thèmes porteurs pour un homme qui aspirait aux plus hautes fonctions de l’état. La surenchère à laquelle se livraient les prétendants de droite sur ce terrain en était la preuve. Mais lui allait plus loin, pas question de référendum, mais des décrets afin de passer outre les palabres stériles à l’Assemblée et au Sénat.
Il ouvrit le portable qui trônait sur la table sur laquelle il prenait ses repas et faisait également office de bureau. Il commença à taper rageusement les grandes lignes de son allocution. Car c’est par son ardeur oratoire qu’il envisageait conquérir son auditoire et réaliser son entrée au sein de ce qu’il pensait être, l’élite de la population française.
Il ne fallait pas faire trop long afin de ne pas lasser l’assistance, être concis, précis et direct. Les têtes de paragraphes élaborées en gras, police vingt, étaient déclinés crescendo dans la rhétorique fasciste, il faisait confiance au don d’improvisation, qu’indéniablement il possédait.
Il imprima, relut, plia les feuilles en quatre et les fourra dans la poche de sa veste.
Chapitre II
2. Le Chat noir
Zoreck consulta le plan de Paris, la rue Troyon se trouvait à quelques pas de la place de l’Étoile. Il détestait de Gaulle, avait rayé son nom sur le plan. Outre avoir abandonné l’Algérie, il le tenait pour responsable de l’invasion magrébine des années soixante. Le regroupement familial avait eu pour effet de créer les poudrières qu’étaient devenues les banlieues. Le ‘‘grand remplacement” sujet récurrent chez les théoriciens de l’extrême droite était son domaine de prédilection. Il pouvait en parler, preuves à l’appui, pendant des heures, mais avec une divergence de taille. Pour Zoreck tout homme de conviction était manichéen, il n’y avait de place pour la nuance que chez les faibles. Il marcha jusqu’à la place de la Bastille où il prit le métro. C’était direct. Il prit l’avenue de Wagram, la rue Troyon était tout de suite à gauche. Il apercevait l’enseigne en fer forgé du bar de nuit au milieu de la rue. Il était juste à l’heure. Un dernier regard sur la vitrine d’un magasin, pour ajuster sa cravate et il s’élança jusqu’à la porte du Chat noir qu’il poussa d’un geste brusque. Il pénétra dans une salle plongée dans la pénombre, dans laquelle un barman essuyait des verres derrière un comptoir en zinc. Celui-ci le dévisagea un instant, et lui indiqua d’un mouvement du pouce que ça se passait au sous-sol.
— Votre portable ! S’il vous plait.
Il prit l’appareil, le glissa dans un tiroir.
L’escalier faiblement éclairé était au fond du bar. Il descendit prudemment en se tenant à la rampe en cuivre. Arrivé à mi-hauteur il entendit clairement des éclats de voix et des rires. Il déboucha dans une salle où se trouvaient une vingtaine de personnes, assises autour de tables ronde, sur lesquelles trônait, pour la plupart, une bouteille de champagne dans un seau en métal argenté.
Un silence pesant s’installa lorsqu’il fit son apparition. Tous les visages, la majorité hostiles, étaient tournés vers lui, au point qu’il eut un mouvement de recul.
Guillaume de Fressinet quitta la chaise qu’il occupait, et louvoyant entre les tables s’approcha d’Erick Zoreck qu’il prit par l’épaule pour le présenter à l’assistance composée uniquement d’hommes. Il portait un costume d’alpaga noir, sur une chemise à jabot orné d’un nœud papillon en soie blanche. Son élégance contrastait avec le misérable costume de son protégé.
— Voilà la personne dont je vous ai parlé et m’a semblé digne de notre intérêt, tant le discours que j’ai eu l’occasion d’entendre va dans le sens de nos convictions. Mais je lui laisse la parole afin qu’il se présente lui-même.
Zoreck était pris au dépourvu, il avait tellement peu de choses à dire sur lui, qu’il fut pris d’une panique irrépressible. Les visages peu amènes, tournés dans sa direction le terrorisaient.
De Fressinet vint à son secours en lui tendant une coupe de champagne. Retrouvant ses esprits, Zoreck la leva au-dessus de sa tête.
— Je vous remercie pour l’accueil que vous me réservez, et comme vous avez pu vous en apercevoir m’a profondément ému.
Je m’appelle Èrick Zoreck, j’ai trente ans, je suis né à Paris de parents français. Hélas décédés.
De Fressinet respirait. Il l’interrompit en avertissant qu’Erick reprendrait la parole, dans un moment après le spectacle. Des projecteurs inondèrent d’une lumière crue la scène qui était occultée par de lourds rideaux rouge.
Une musique wagnérienne retentie. Aussitôt une dizaine de jeunes femmes, revêtues d’uniformes noirs entamèrent un ballet rythmé par les staccato de la chevauchée des Walkyries. Á chaque passage endiablé au-devant de la scène, elles jetaient une partie de leur uniforme vers les spectateurs qui se battaient pour la conserver. En quelques minutes, leur corps sculptural fut totalement dénudé. Une dernière révérence saluée par une salve d’applaudissement retentit jusqu’au moment où les projeteurs s’éteignirent, plongeant la scène dans l’obscurité. La lumière tamisée revint dans la salle, révélant des visages congestionnés. Zoreck restait pétrifié.
Un sourire sur les lèvres, la haute stature de Fressinet se dressa au-dessus des tables.
— J’espère que vous avez appréciez ce spectacle magnifique ! Maintenant je vous demande de réserver le meilleur accueil à notre ami Eric Zoreck.
Il fit un geste en direction de la scène dont les spots dispensaient un faisceau doré en son centre.
Il n’avait plus d’autre alternative que se diriger vers le disque incandescent qui l’engloutirait à jamais ou le mènerait par des chemins étroits vers des sommets. Les vers d’Hugo s’étaient insinués dans son esprit subrepticement.
Il courut plus qu’il ne marcha vers le centre de la scène, salua d’une courbette l’assistance et oubliant l’ébauche du discours qu’il avait préparé, entama d’une voix forte les premières phrases d’un discours offensif sur les migrants.
« On nous dit que c’est faire preuve d’humanité que d’accueillir ces pauvres bougres pourchassés dans leur pays ou affamés à cause du réchauffement climatique. Mais que font- ils pour affronter ces périls ? Rien, ils comptent sur l’impéritie de nos dirigeants et la compassion des ONG financés par nos impôts… »
Des applaudissements timides, générés par de Fressinet et quelques amis proches interrompirent le discours. La majorité de l’assistance ne voyait qu’un pauvre bougre mal fagoté émettant des propos qu’ils avaient entendus maintes et maintes fois.
Cependant encouragé par cette timide claque, l’orateur s’enhardit, ses gestes amples rythmaient des mots qu’il accompagnait de coups de poing sec de sa main droite contre sa main gauche. La voix prenait de la puissance devenait plus gutturale. L’attention de l’auditoire augmentait petit à petit.
«…Après nous avoir chassé de leur pays où nous avons apporté le progrès, l’électricité, le chemin de fer,
l’éducation…Ils prennent les emplois de nos concitoyens, abusent de nos avantages sociaux, agressent nos femmes et nos enfants.»
Une salve d’applaudissement interrompit à nouveau l’orateur devenu tribun dont la gestuelle frôlait l’hystérie.
« …Nos soldats meurent en Afrique pour défendre leur liberté, apporter notre culture, et quel est le remerciement ? Ils nos conspuent comme si nous étions des envahisseurs… »
Cette fois se sont des vivats qui retentirent, les convives qui avaient abandonné leur chaise, se pressaient au plus près de la scène et acclamaient frénétiquement un Eric Zoreck, enivré par le triomphe. Le discours couvert par les acclamations devenait inaudible. Mais qu’importe, la partie était gagnée.
Dans le fond de la salle, Guillaume de Fressinet, entouré de fidèles, savourait. Il eut la confirmation que l’homme qu’il avait entendu dans ce bistrot minable était bien la personne en phase avec ses projets. Il allait transformer ce petit bonhomme, en arme de guerre.
Zoreck n’en finissait plus de serrer des mains et répondre aux félicitations. Il était devenu en l’espace d’un moment une star.
Il fendit la foule de ses admirateurs, pour se diriger vers de Fressinet qui l’attendait une coupe à la main.
— Vous devez avoir soif !
Zoreck prit la coupe, la vida d’un trait.
— Félicitation, reprit-il vous avez électrisé l’atmosphère, vous avez un véritable don. Je ne m’étais pas trompé.
Les spectateurs partaient en petits groupes, comme à regret. En passant à proximité de Zoreck chacun montrait son admiration, en levant le pouce ou en joignant les deux mains au-dessus de la tête comme après un championnat de boxe.
De Fressinet l’entraina à l’écart.
— Etes-vous disponible demain matin ?
Zoreck, marqua un temps d’arrêt.
— Oui
— Vous pourriez passer à mon domicile vers neuf heures ?
— Bien sûr.
De Fressinet lui tendit sa carte.
— Á demain !
Il s’éloigna suivi par ses amis, le dénommé Alain fermait la marche. Avant d’emprunter l’escalier, il tourna la tête dans sa direction. Il avait la même expression maussade sur le visage que lors de leur première rencontre dans le bistrot du onzième.
Après avoir récupérer son portable, Zoreck émergea sur le trottoir comme au sortir d’un rêve. Il marcha jusqu’à la place de l’Etoile où machinalement il fit signe à un taxi en maraude. Sa vie allait changer, il en avait la certitude. Arrivé dans sa mansarde, il relut la carte de visite imprimée en lettres rondes :
Guillaume de Fressinet.
Onze avenue de Suffren
75007 Paris
Ni numéro de téléphone. Ni adresse mail. Un blason en bas à droite évoquait l’emblème de La Grande Loge de France.
Chapitre III
3. Guillaume de Fressinet.
Eric Zoreck avait tenté, une bonne partie de la nuit, d’en savoir un peu plus sur le personnage. Mais ses recherches s’étaient avérées vaines. Rien sur les réseaux sociaux, ni sur Wikipédia. Un nom une adresse sur le bottin mondain faisait état d’un château sur la commune de Ménouville dans le Val d’Oise. Un mystère.
Il arriva quelques minutes avant neuf heures devant l’immeuble cossu situé avenue de Suffren. Une femme balayait le trottoir devant l’entrée. Elle le regarda s’approcher comme s’il s’agissait d’un clochard. « Deuxième étage » lui répondit-elle. Elle le prit en filature jusqu’au palier et attendit que le domestique lui cédât le passage avant de reprendre sa tâche.
De Fressinet se trouvait dans un des salons de la triple réception assis à une table en acajou sur laquelle gisaient les restes d’un petit déjeuner. Il se leva dès que Zoreck, qu’il appela par son prénom, franchit la porte. Au bout de l’immense pièce, de Fressinet paraissait minuscule. Il invita son hôte à s’assoir face à lui sur un cabriolet Louis Philippe près d’une baie vitrée donnant sur la tour Eiffel et le pont d’Iéna. La vue était époustouflante.
— Un café, une viennoiserie ou autre chose ?
— Juste un café, répondit-il en regardant la boiserie du plafond qui se trouvait, calcula-t-il, à quatre mètre de hauteur.
Á ce moment Alain entra dans la pièce et alla s’assoir discrètement sur une méridienne placée entre deux bibliothèques monumentales.
Le domestique servit le café turc dans une tasse en porcelaine.
— Comme vous l’avez constaté lors de la soirée d’hier, commença-t-il, nous sommes un groupe d’amis qui désirent redonner à notre patrie la place qu’elle devrait avoir dans le concert mondial. Seulement mes amis et moi occupons des postes ou des fonctions qui ne nous permettent pas de nous exhiber sur le devant de la scène. C’est pour cette raison que j’ai fait appel à vous, afin qu’en quelque sorte, vous deveniez notre porte-parole.
Zoreck resta muet de saisissement. Ce que lui proposait son interlocuteur dépassait encore ses espoirs les plus fous.
— J’en serais honoré balbutia-t-il, mais comment voyez- vous ça ?
— Tout d’abord en tirant un trait sur votre vie actuelle. En quittant la mansarde dans laquelle vous vivez, en transformant votre apparence et votre hygiène de vie.
— Mais…
— Je suis au courant de votre dénuement actuel. Nous allons changer tout cela. Si vous n’y voyez pas d’inconvénients, bien sûr.
— Aucun.
— Je possède un petit appartement meublé à quelques pas d’ici, avenue de Breteuil. Si vous le désirez, vous pourrez l’occuper.
Zoreck restait sans voix, il avait le cœur qui battait si fort qu’il se rencogna dans son siège par crainte que son interlocuteur l’entendît.
— Evidemment il vous faut un emploi qui soit en phase avec le rôle que vous allez occuper. J’ai un ami qui dirige une revue économique réputée qui recherche un bras-droit, quelqu’un de confiance…Je suis certain que vous ferez l’affaire.
Bien, j’ai beaucoup de travail. Réfléchissez à tout cela. Appelez-moi demain si vous êtes partant, Alain vous conduira à votre nouvelle demeure.
De Fressinet sortit un portable de la poche de sa veste d’intérieure et communiqua le numéro à Zoreck qui s’y repris à trois fois pour l’enregistrer, ses mains tremblaient.
Alain le précéda jusqu’à la porte d’entrée qu’il ouvrit.
« Á demain ! » dit-il, un sourire narquois sur les lèvres.
C’était la première fois que Zoreck entendait le son de sa voix.
Chapitre IV
4. Alain
Sur les registres de l’état civil de la ville d’Etampes, Alain portait le nom de Phalempin, un patronyme qu’il exécrait.
Il avait été placé par le Juge des enfants dans une famille d’accueil à la suite du décès de sa mère, tabassée à mort par son mari Joseph Phalempin, qui avait été condamné à dix ans de réclusion.
Le Juge avait demandé que l’éloignement de la famille paternelle soit conséquent par crainte de représailles sur l’enfant. Le grand-père paternel considérait qu’il était responsable de l’incarcération de son fils.
Il était âgé de douze ans lorsqu’il fut placé au sein de la famille Bouchard agriculteur dans la Creuse à La Souterraine. Les Bouchard accueillaient deux autres enfants, ce qui leur rapportait un revenu complémentaire leur permettant tout juste de survivre. La soupe de légumes du jardin et une tranche de pain noir constituait l’essentiel des repas. Il n’avait jamais été accepté par les deux autres garçons plus âgée, qui le maltraitaient sans que le père Bouchard n’y trouve à redire. Á l’école c’était pire, il était le fils d’un meurtrier, l’évocation de son nom suscitait les moqueries, voire les injures et les coups. Constatant l’état lamentable de l’enfant au cours d’une de ses rares visites, l’assistante sociale avait exigé son placement dans une autre famille. Il atterrit en Haute Savoie à Evian chez un couple d’enseignants. Le changement d’existence fut radical, le couple Matringe qui n’avait pu avoir d’enfant, le considérait comme leur
fils. Il reçut une éducation solide passa le baccalauréat à dix-sept ans. S’inscrit à l’université de Grenoble afin de devenir professeur de philosophie.
Un soir, revenant de l’entrainement de rugby il se trouva face à un homme hirsute, vêtu comme un clochard devant le portail de la maison familiale qu’il reconnut instantanément. Son père se tenait devant lui, un sourire édenté sur les lèvres. Le ton s’envenima rapidement, des coups furent échangés, Alain, qui était un sportif accompli, le cueillit d’un uppercut au menton, Joseph Phalempin s’effondra comme un pantin, dans sa chute sa tête heurta l’arête du muret d’enceinte de la villa. Il décéda sur le coup. La vie d’Alain venait à nouveau de basculer.
Alertés par les cris de Joseph, ses parents n’eurent le temps que de constater le drame. Hébété Alain regardait le sang s’écouler lentement en une petite rigole vers le caniveau. Bernard Matringe ne perdit pas son sang-froid, il remonta l’allée de la villa jusqu’au garage, sortit la Golf.
— Monte ! ordonna-t-il à son fils.
Le véhicule pris la direction du sud. Á cinq heures du matin la Golf pénétra dans la cour du premier régiment de la légion étrangère d’Aubagne. Le Lieutenant-Colonel Pernetti attendait dans son bureau. Il étreignit Bernard Matringe, serra la main d’Alain. Le Lieutenant-Colonel savait tout du drame.
Il s’adressa directement à Alain.
— Tu n’as pas d’autre solution si tu veux éviter la prison. Tu t’engages, tu changes de nom et je t’envoie directement à Calvi au deuxième REP chez les parachutistes. Au bout de trois ans tout le monde aura oublié, et si ce n’est pas le cas je te recommanderai à un ami qui fera en sorte que tout le monde oublie !
Alain regarda celui qu’il considérait comme son père, des larmes glissaient le long de ses joues. Il fit un signe d’assentiment à son fils, le Lieutenant-Colonel sortit un dossier du tiroir de son bureau. Á six heures trente le légionnaire Alain Lormont était affecté pour une période de trois ans au deuxième REP de Calvi.
Trois ans plus tard Alain Lormont habillé en civil rencontrait Guillaume de Fressinet à l’aéroport d’Orly.
A suivre...