Le lundi 6 mars,
Toute représentation ou reproduction même partielle de ces chapitres constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du code de la propriété industrielle.
Evidemment, Les opinions exprimées dans ce livre sont très éloignées de celles de l'auteur, elles reflètent la tendance actuelle, affichées (avec véhémence) par une partie croissante du public, la populace comme l'appelle Zoreck. Public déboussolé, qui ne sait plus à quel politique se vouer. Alors il se tourne vers celui qui braille le plus fort ce qu'il veut entendre.
Des idées toutes faites voient le jour, des solutions simplistes résolvent tous les problèmes de la société. Les sondages d'opinions rythment la vie du pays pour le plus grand plaisir des petits génies de l'informatique dont les algorithmes nous mettent dans de petites cases.
/image%2F0999823%2F20230306%2Fob_9ff413_roman-le-bal-des-salauds-1ere-de-couv.jpeg)
chapitre v (suite)
La belle vie.
Alain attendait en bas de l’immeuble du onze rue Paul Bert au volant d’un utilitaire Mercédès noir. Zoreck qui avait appelé de Fressinet dès huit heures du matin, sortit de l’immeuble une valise à la main qu’il chargea à l’arrière. Il s’installa à côté du chauffeur auquel il demanda de démarrer. La concierge se tenait sur le trottoir les deux mains sur les hanches lorsque le véhicule s’ébranla.
— Un déménagement à la cloche de bois ! ironisa Alain.
Zoreck ne répondit pas. Sa vie d’errance se résumait au contenu de cette valise. Il tournait la page. Ce n’était pas une revanche sur les revers qui avaient parsemé son existence jusque-là mais une opportunité dont il n’avait jamais douté qu’elle se présenterait. Alain pouvait ricaner, il en avait cure. Dans peu de temps il apprendra à connaître qui est le vrai Zoreck. En attendant il fallait jouer profil bas, comme l’écrivent les journalistes. Cette expression l’avait toujours fait sourire. Profil bas, c’était comme le chien qui revient la queue entre les jambes. Ce n’était pas son cas.
Le Mercédès s’immobilisa devant le dix-huit de l’avenue de Breteuil. L’immeuble en pierre blanche de Bourgogne étincelait sous le soleil matinal. Alain descendit, claqua violemment la portière, attrapa la valise, se dirigea vers la porte en chêne massif du porche qu’il ouvrit avec une clé du trousseau qu’il portait à la ceinture de son jean. Zoreck suivait. L’ascenseur les mena au quatrième étage. Il y avait trois portes sur le palier couvert d’une épaisse moquette rouge sombre. Alain introduisit une autre clé dans la serrure de l’appartement situé à gauche. Un flot de lumière jaillit lorsqu’il poussa la porte.
— J’ai averti le concierge pour qu’il ouvre les fenêtres. Ça n’a pas été occupé depuis un bout de temps.
Il posa la valise à l’entrée du salon, dégagea deux clés de son trousseau qu’il tendit à Zoreck.
— Monsieur de Fressinet vous appellera en début d’après-midi.
Il sortit sans autre formalité.
Zoreck regarda autour de lui d’un air distrait. Il arracha les housses blanches qui recouvraient les meubles, jeta un regard sur le jardin de Breteuil où des mômes jouaient autour du bassin. Referma la fenêtre et se dirigea vers la chambre. Un lit recouvert d’une courtepointe vert foncé était coincé entre deux chevets en merisier style Louis Philippe. Face au lit, trois portes coulissantes recouvertes de miroirs cachaient un dressing qu’il ouvrit pour suspendre son costume et y poser deux chemises. Un bureau du même style était accolé sous la fenêtre, qu’il ferma, sur laquelle il posa son ordinateur. Puis il se déshabilla et se dirigea vers la salle de bain attenante pour prendre une douche chaude. Il resta un long moment sous le jet d’eau brulant avec le sentiment qu’il n’avait plus connu ce plaisir depuis son enfance à l’orphelinat. Ceint d’une serviette immaculée, qu’il prit sur un meuble en chêne cérusé, il fit face au lavabo double surmonté d’un triptyque. Le reflet que lui renvoya le miroir le terrifia. Il n’avait que la peau sur les os, les côtes saillantes, les épaules tombantes, les joues flasques, un nez proéminent, les oreilles en choux fleur. Le tableau était digne d’une caricature de Daumier. Seuls ses yeux noirs, en constant mouvement, avaient l’étincelle de la foi qui brûlait en lui. Il peigna ses cheveux en tentant de masquer la calvitie qui gagnait. Dépité, il alla s’allongé sur le lit dont il prit soin d’ôter la courtepointe. Les yeux rivés au plafond il tenta de rassembler les événements qui étaient venus bousculer sa vie ces derniers jours afin d’y déceler la faille qui l’avait menée dans le cénacle de Guillaume de Fressinet. Car bien qu’il ne doutât pas qu’il était voué à une destinée hors du commun, il ne croyait ni en Dieu ni au hasard.
La sonnerie de son portable le tira d’un sommeil serein, comme il n’en avait plus connu depuis une éternité. Avant l’orphelinat.
Alain attendait en bas de l’immeuble, nonchalamment adossé à une SLC noire rutilante, une cigarette entre les doigts. Il éjecta le mégot d’une pichenette, s’assit derrière le volant. Zoreck eut la furtive et furieuse envie de s’assoir à l’arrière, il prit place à côté du chauffeur. Ce sera pour plus tard.
Le véhicule s’engagea dans la circulation intense du boulevard Montparnasse pour accéder rue de Sèvres à quelques centaines de mètres d’Arnys, le tailleur des ténors du monde politique, qui devait sa célébrité, dont il se serait bien passé, au scandale Fillon.
— On vous attend, lança Alain en désignant la boutique, dès que vous en aurez terminé appelez-moi.
Il lui communiqua son numéro et démarra, laissant Zoreck décontenancé sur le trottoir. Un vendeur se précipita, s’enquit de son identité, lui demanda de le suivre à l’intérieur. Le responsable de la boutique l’installa sur une chaise, lui proposa un café et s’excusa pour l’attente, le tailleur était occupé avec un client dans une cabine.
Deux heures plus tard, après la prise des mesures, les choix des tissus et la coupe des costumes, Zoreck ressortit une paire de Berlutti, qu’il avait tenu à garder, aux pieds, abandonnant ses mocassins éculés au magasin.
Il appela Alain qui ne mit que quelques secondes pour apparaître au volant de la Mercédès. Le véhicule se glissa avenue de Suffren, traversa le pont d’Iéna pour rejoindre l’avenue Kléber, puis le boulevard de Courcelles. Alain, conduisait avec une dextérité impressionnante, tout en douceur. Il immobilisa le véhicule devant un immeuble haussmannien du boulevard, siège du mensuel Nouvelles Valeurs.
— Vous demanderez Yves de Kérouel.
Le hall du mensuel était tout en boiserie, miroirs et plantes vertes géantes. Une jeune femme protégée par une vitre, se tenait derrière un comptoir. Zoreck n’eut pas le loisir de se présenter qu’un homme, descendu en trombe des marches de l’escalier monumental qui mène à l’étage, s’avança vers lui main tendue.
— Yves de Kérouel, ravi de faire votre connaissance.
L’homme d’allure sportive, le teint bronzé, la mâchoire carrée ne pouvait renier ses origines bretonnes. Il posa une main sur son épaule qui invitait à l’accompagner comme s’ils étaient de vieux amis ravis de se retrouver. Les fenêtres du bureau d’Yves de Kérouel donnaient sur un petit jardin auquel il jeta un regard avant de s’assoir derrière son bureau et d’inviter Zoreck à prendre place face à lui dans un confortable Chesterfield en cuir vert foncé.
— Vous connaissez la raison de votre présence ici ?
— Monsieur de Fressinet m’en a touché deux mots, sans autres précisions. Je suppose qu’il vous en laissait l’initiative.
— En effet, nous vous proposons d’occuper la fonction d’assistant de direction. Évidemment il s’agit d’un emploi fictif, donc puni par la loi. Néanmoins, si vous désirez accéder à de hautes responsabilités au sein de l’état je ne peux que vous conseiller de vous familiariser avec le monde de l’économie afin d’éviter de dire des absurdités comme celles que nous avons entendues lors de ce fameux débat.
Zoreck acquiesça d’un signe de tête en souriant. Il voyait très bien à quel évènement de Kérouel faisait allusion.
— Votre bureau, reprit-il se trouve à côté du mien, je suis là pour vous aider à atteindre notre objectif commun, n’hésitez pas à solliciter mon aide.
Ah ! J’oubliais, votre salaire mensuel sera de trois mille Euros brut. Afin d’éviter toute tracasserie administrative je vous conseille de venir régulièrement faire acte de présence à votre bureau, même si vous n’avez rien à y faire. La lecture de notre revue est très instructive !
De Kérouel se redressa, afin de signifier que l’entretien était terminé. Il serra chaleureusement la main de Zoreck et le mis entre les mains de son assistante afin de régler les questions administratives liées à l’embauche de ce collaborateur, très particulier.
Cependant, il tenait à assister au départ de Zoreck, les deux mains posées sur la balustrade en chêne, il suivit du regard la descente de l’escalier monumental de ce curieux personnage en se demandant quelle mouche avait piqué de Fressinet.
Chapitre VI
Yves de Kérouel.
Le Baron Yves de Kérouel dirigeait la revue Nouvelles Valeurs depuis cinq ans. La société, une SAS au capital de cinq-cent-soixante-seize mille Euros avait été entièrement financée par Gilbert Cadoret, ami d’enfance d’Yves de Kérouel.
Ils avaient fréquenté la même école religieuse à Morlaix, Saint-Joseph. De Kérouel, issu d’une famille noble, réputée et pauvre de la région avait pris Cadoret sous sa protection. Celui-ci était le fils ainé d’une famille de petits industriels, dont les affaires étaient florissantes. Cet échange de bons procédés avait permis à Cadoret d’échapper aux turpitudes de l’enseignement austère des moines de l’institut.
Cadoret “ était monté à Paris” pour suivre des études commerciales, tandis que de Kérouel était resté dans sa Bretagne natale. Il s’était essayé à la politique au sein du parti Démocrate-Chrétien de Christine Boutin. Il Récolta cinq pour cent des suffrages lors des élections législatives de mille-neuf-cent soixante-dix-huit, score dérisoire, qui mit un terme définitif à son éphémère incursion en politique.
Marié à une femme de même extraction que lui, mais sans fortune, qui lui avait donné deux enfants, il vivait du maigre revenu que lui rapportaient deux fermes mises en fermage. Cependant il ne dédaignait pas parcourir à cheval sa propriété dont la surface se réduisait chaque année comme peau de chagrin. Les finances de la famille de Kérouel périclitaient dans des proportions abyssales, au point de sombrer dans la faillite personnelle et le déshonneur. Il consentit à prendre un poste de contremaître dans l’usine Cadoret.
L’humiliation de se retrouver au milieu d’ouvriers dont les parents avaient servi les de Kérouel pendant plusieurs générations, était d’autant plus grande que les cadres de l’usine ne manquaient pas de lui rappeler la splendeur passée des de Kérouel, et le sanctionner au moindre faux pas.
C’est à cette période douloureuse qu’il entreprit de se confronter à la littérature. Durant des nuits entières il élabora une saga inspirée des péripéties chevaleresques de ses aïeux aux quatorze et quinzième siècle, ceci au détriment de la qualité de son activité professionnelle.
Malgré la bienveillance de la famille Cadoret, il fut licencié après avoir été retrouvé endormi sur un banc, dans les vestiaires de l’usine, par un ouvrier qui se fit un plaisir de le dénoncer à son supérieur.
Le roman-fleuve retraçant les aventures des aïeux d’Yves de Kérouel se vendit à quatre-vingt-cinq exemplaires.
S’en suivi une longue période de dépression durant laquelle il pensa se suicider. Durant cet épisode douloureux il ne se passa pas une journée sans qu’un huissier ne déambulât dans les couloirs sombres du manoir familial pour y dénicher ce qu’il restait encore à dénicher, rien qui ne représentât une valeur quelconque, cependant il lui semblait que les hommes de loi prenaient un certain plaisir à divaguer dans les corridors et les salles vides du manoir, si bien qu’il trouvât à la longue leur compagnie réconfortante.
La Baronne Anémone de Kérouel demanda le divorce, qu’elle obtint, ainsi que la garde des enfants, retourna vivre dans la demeure familiale.
Il vendit le manoir, en tira juste le nécessaire pour se rendre à Paris et séjourner quelques jours dans un hôtel minable situé à proximité de la gare Montparnasse.
Lorsqu’il appela Gilbert Cadoret, qui était parfaitement au courant de son infortune, ce fut pour lui révéler qu’il avait une idée mais qu’il lui manquait l’argent nécessaire pour la réaliser. Cadoret s’attendait au pire. Cependant à sa grande surprise l’idée de son ami lui parut des plus intéressantes. Cadoret avait déjà investi dans les médias en prenant quarante pour cent des parts du capital de la société mère de la chaîne payante TV IV et surtout une chaîne d’info en continu. L’avenir de l’information. L’idée de créer un magazine politico-financier le séduisit immédiatement. Il flaira instantanément le parti qu’il pouvait en tirer auprès des dirigeants d’entreprises et des financiers.
Il nomma son ami Président de la SAS en prenant soin de le chapeauter par deux experts financiers débauchés d’un cabinet réputé.
A suivre...